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Gaston Dewiquet vu par Michel Bouvier

PORTRAITS D’AUTEUR

Un écrivain dresse le portrait d’un personnage récurrent né de son imagination.



Commissaire de police à Marquise, dans l’arrière-pays boulonnais, Gaston Dewiquet est l’enquêteur de deux romans policiers historiques de Michel Bouvier : L’Emasculé du Cran-aux-Œufs et A l’ombre des saules. Aux alentours de 1900, il arpente ce coin de campagne en bord de Manche à la recherche des noirs desseins de l'âme humaine. Selon Michel Bouvier, c’est « un homme songeur qui ne croit pas en Dieu, mais aime les églises pour leur calme, les curés pour leur savoir, les dévotes pour leur bizarrerie... »


Gaston Dewiquet, c’est d’abord une silhouette, celle du beau-père de mon père, prénommé Gaston, qui était devenu employé de bureau après avoir été maître d’armes à l’armée. Un homme de taille modeste, mais râblé, solide, une force de la nature, qui est revenu vivant de la Grande Guerre, lui, contrairement à mon grand-père, et qui aimait nous montrer son agilité, la vivacité de ses mouvements, la force de son poignet, de ses doigts, le pouce droit en particulier, sur lequel il se redressait pour faire la chandelle, ce qui m’épatait. Un homme au bon visage avenant, un cœur d’or d’une pudeur extrême, qui adorait les enfants et n’en avait pas eu lui-même.

J’étais encore bien jeune quand il est mort, mais son souvenir reste en moi comme un charme. Il était lillois, né dans une courée du quartier de Wazemmes, avait une sœur, discrète, excellente danseuse, qui s’était sacrifiée pour soigner ses vieux parents. Un homme du petit peuple, avec une ombre au tableau : il aimait un peu trop boire et chanter avec ses amis.

Je tenais un personnage, mais qu’en faire ? Je le connaissais trop peu pour le prendre tel quel. De la guerre, il ne racontait jamais rien. Quant à la vie d’un employé de bureau un peu fêtard dans les années 50-60, qu’est-ce qu’on pouvait en tirer ?

D’un autre côté, je me suis découvert une passion pour la Côte d’Opale, le Boulonnais, tout cet arrière-pays vallonné, animé d’eaux vives, mes frères s’y étant acheté des bicoques. J’aime le vent, les embruns, cette mer souvent grondeuse, les bourgs, les vallons, une nature variée, des gens effacés, durs à la tâche. Une région bouleversée, aux villages détruits par la guerre, reconstruits sans âme, et des histoires enfouies, un passé enterré. Comment c’était, avant ? La curiosité vous prend, pas une curiosité de rat de bibliothèques, une curiosité de marcheur, de dénicheur de vieux pigeonniers, d’anciens ponts, de chapelles mystérieuses, d’amoureux des étangs, des viviers, des fermes écartées, des moulins…


Le pigeonnier de Waringzelle, seul vestige ancien.

Et puis voilà que Lucienne Cluytens[1] me fait découvrir la collection Belle Époque, dont les intrigues doivent se situer vers 1900 sur cette côte que la mode balnéaire réveillait alors ; je lis les premiers volumes, je me sens dans un pays reconnu. J’achète les quelques volumes publiés par les éditions Histopale sur la région, richement illustrés de documents anciens…

Voilà, que je me dis, un pays pour Gaston, et je décide de le faire débarquer à Marquise – à cause du nom, en accord avec l’élégance du bonhomme – y être commissaire de police, engagé par la municipalité pour contrôler la population ouvrière, qui s’est multipliée avec les usines métallurgiques et les carrières. Je laisse les carrières, je connais mieux la métallurgie, grâce à mon père, qui travaillait dans la métallurgie lilloise. Ces usines étaient en difficulté vers 1890, faillirent fermer. Atmosphère propice aux crimes. Gaston pourra s’en occuper. Il lui faut un nom de famille ; ce sera celui transformé d’une ancienne famille noble du coin, éteinte depuis le XVIIIe siècle, les de Wiquet.

 
 

Je reviens sur les lieux, et voilà qu’un jour de grand vent, au-dessus du Cran-aux-Œufs, après Waringzelle, je le vois arriver dans sa carriole chahutée par le vent. Qu’est-ce qu’il vient faire par ici, par ce temps qu’il n’aime pas trop ?


Le Cran-aux-œufs en 1896, peinture de François de Montholon.

Je descends le chemin des douaniers, j’arrive au cran, et je comprends : il y a eu un crime à cet endroit, qui paraît tellement fait pour ça, un crime abominable, qui lui rappellera les horreurs de la guerre de 1870 qu’il a connues, dont il détestait parler. Le reste viendra tout seul, naîtra du paysage, de la ville de Marquise, de ses bourgeois, de ses usines, puis des grandes fermes encore un peu sauvages, et aussi de celle plus prétentieuse d’Honglevert, où j’installe un militaire retiré sur ses terres, le baron d’Ordre, auquel Gaston donnera des leçons de sabre, ce qui lui créera des relations intéressantes.

Une fois que je l’ai bien installé dans ce pays sauvage, je crois devoir lui donner de quoi combler son cœur de veuf qui rêve de paix, d’enfance, en se souvenant de la sienne, à Saint-Omer. Parce que c’est un homme songeur, qui ne croit pas en Dieu, mais aime les églises pour leur calme, les curés pour leur savoir, les dévotes pour leur bizarrerie même, et la gentillesse qui parfois, pas toujours, va avec. Tout ce pays est chrétien, par les abbayes, les églises, les chapelles, les prêtres qui sont partout. Pourtant, bien des hommes de par-là ne sont croyants que par vieilles habitudes, ils pensent toujours en païens, parce que paysans et païens, ce sont des mots frères. Alors, les gens apparaissent, dans mes rêves ou dans mes rêveries d’imaginatif, les histoires de famille se mêlent, avec de grands trous, des ombres, les femmes débarquent, affriolantes ou tranquillement généreuses, douces, menteuses aussi, sans oublier les smeugleurs, ces contrebandiers anglais que les douaniers pourchassent sans hésiter à leur tirer dessus, tout un monde ancien s’anime, revit pour moi seul, et j’ai envie de faire partager tout ça à des lecteurs…


Bronze avec un chat et une souris, contrebande anglaise.

Emmener les gens en promenade, à la découverte, faire revivre les notables, les éleveurs de chevaux, les découvreurs de mines, les bergers, les bêtes… Un pays de vent, donc de moulins, autrefois tellement nombreux, familiers. L’ennui aussi, les longues soirées d’ennui de ces gaillards que Giono a vu comme des rois sans divertissements… Le contraste entre la ville, modeste mais qui se veut moderne, et la campagne presque vide, ce qui engendre de belles atmosphères… Gaston Dewiquet est mon regard pour découvrir tout cela, y entrer, en vivre, et le rendre de nouveau vivant pour ceux qui prendront la peine de lire, pas seulement pour essayer de découvrir un assassin, mais aussi pour comprendre un peu pourquoi on peut devenir un assassin, avoir envie d’en être un, même sans jamais passer à l’acte. Ce vieux pays est un pays de fées, de diables, de rêves, de folies. Gaston Dewiquet s’y est attaché, et vous y précède… Il n’a pas fini d’en découvrir les secrets, de Marquise à Wissant au nord, de Marquise à Boulogne au sud, monté sur sa jument Soyeuse, ou installé dans une voiture du chemin de fer qui descend de Calais. Pour les âmes curieuses, ce pays est infini…

Après avoir résolu l’affaire de L’Émasculé du Cran-aux-Œufs, un ingénieur des usines sidérurgiques de Marquise qui aurait dû éviter cet endroit, et grâce à la protection de la baronne d’Ordre, Gaston Dewiquet se voit confier la recherche d’un anarchiste en fuite, qui aurait pu trouver asile à Wierre-Effroy, un village vers Wimereux, où il a de lointains cousins. Un paysan tué d’un coup de fourche, un vol meurtrier à la première banque de Marquise plombent très vite l’atmosphère. Gaston va devoir travailler en duo avec le commissaire de Boulogne, Georges Riqueval, un homme à poigne qui aime aussi la blague. C’est lui qui a résolu il y a peu la ténébreuse affaire de La folle de la rue Guyale : aux abords de cette courte rue, on avait retrouvé un bienfaiteur de la ville, étranglé par une nuit poisseuse. Riqueval avait dû s’intéresser aux peintres de l’école de Wissant, descendre dans la maison de plaisirs d’une matrone, qui faisait aussi parler les esprits des morts, et que Georges, bon père de famille, a aimé secouer un peu. Ces lieux-là évoquent d’autres souvenirs pour Gaston, car les deux gaillards sont fort différents ; mais ce sont tous les deux de bons enquêteurs, qui ne répugnent pas à l’usage de la force quand il le faut. À l’ombre des saules, dans la vallée de la Slack, ils auront besoin de toute leur pugnacité pour venir à bout de ces mystères bien embrouillés, où les anarchistes parisiens accompagnent la sauvagerie de certains autochtones, que le curé de Wierre-Effroy compare à des chouans.

Peut-être le plaisir d’avoir agi ensemble leur donnera-t-il envie de recommencer à la première occasion…

 

[1] Auteure de Amandine et les Brigades du Tigre et Amandine à la cour du Tsar.

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