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Photo du rédacteurgilles guillon

Un jour, mon téléphone a sonné… En janvier 1993, la naissance de Rallyes Magazine

Dernière mise à jour : 2 juil.

L’un des buts de ce blog est de partager mes souvenirs professionnels. En voici un… Il y a tout juste 30 ans, je donnais une nouvelle orientation à ma carrière. Je quittais la télé pour la presse écrite et participais à la création de la revue spécialisée Rallyes Magazine.

(Article écrit début 2023, publié dans Rallyes Magazine au printemps de la même année)



Un jour, mon téléphone a sonné et ce coup de fil a changé ma vie. C’était à l’automne 1992. Je travaillais depuis dix ans à FR3 (l’ancien nom de France 3) et j’en avais ras-le-bol de la télé. Mais vraiment ras-le-bol ! Ma carrière journalistique était dans une impasse. Je n’en pouvais plus de présenter les actualités régionales. Il fallait absolument que je trouve la sortie pour me barrer au plus vite.


Mon téléphone a sonné. Au bout du fil, une voix caractéristique, celle de Gérard Bridier, ancien rédacteur en chef d’Echappement avec qui j’avais bossé pendant quelques mois à Compte-Tours, magazine de sport auto créé à Abbeville par Gilles Stievenart. Lassé par le côté lunatique du patron, Gérard avait claqué la porte de Compte-Tours et s’était mis à la recherche d’un groupe de presse prêt à réaliser son nouveau rêve. « Je vais lancer un magazine de rallyes. J’ai trouvé un éditeur. Est-ce que ça te dit de venir travailler avec moi ? » « Bien sûr, je viens. On commence quand ? » « Attends, il y a un truc important : le journal ne sera pas basé à Paris, mais à Clermont-Ferrand. » « Pas grave, je viens quand même ! » Le projet de Gérard était de faire un mensuel qui parlerait uniquement de rallyes, alors que les canards existants traitaient de la plupart des disciplines du sport auto. Le seul équivalent que je connaissais s’appelait Tuttorally, un magazine italien que je feuilletais avec envie en me disant que c’était pas demain la veille qu’on aurait la même chose en France.

Gérard m’a demandé de réfléchir à la ligne éditoriale du futur Rallyes Magazine, l’organisation du réseau de correspondants régionaux et surtout la façon de traiter l’actualité, les compte-rendu de courses, les interviews de pilotes… Il avait précisé qu’il fallait faire différent.

Pas question de copier Echappement ou Compte-Tours, on partait d’une feuille blanche. Je me suis donc plongé dans… France Football ! Ce bihebdomadaire paraissant le mardi et le vendredi couvrait toute l’actualité footbalistique et utilisait abondamment statistiques, infographies, interviews d’experts et analyses. De quoi passionner les passionnés… Il devait être possible de faire l’équivalent pour le rallye. Il n’y a rien de plus exaltant que d’imaginer un nouveau journal.

J’ai fait un bref aller-retour à Clermont-Ferrand pour rencontrer l’éditeur assez fou pour se lancer dans un tel projet. Les Editions Freeway étaient une PME qui publiait déjà un magazine de motos (Freeway) et un de rock (Rock Sound). Une petite équipe installée dans deux appartements transformés en bureaux près de la place Jaude. Des gens passionnés par ce qu’ils faisaient, sans a-priori. On s’est dit banco, on y va. Rendez-vous début décembre pour préparer le premier numéro.

Mes dernières semaines à FR3 Lille ont été occupées à organiser mon départ : poser tous mes congés (un gros mois) et demander un sans-solde, sans dire à personne que j’avais prévu de démissionner. La direction de FR3 Lille m’a royalement accordé un mois supplémentaire. J'espérais plus, mais la télé avait soi-disant besoin de moi pour présenter les JT pendant les élections législatives de mars 1993. En partant le 1er décembre 1992, j’avais donc jusqu’au 1er février de l’année suivante pour donner ma démission ou revenir à au bercail la queue entre les jambes. Officiellement, j’allais aider des copains qui lançaient un journal, ce qui n’était pas faux. Sur un ton définitif, ma compagne m’avait dit : « Vas-y sans moi, je reste à Lille ! » Ma passion pour les rallyes ne l’intéressait pas, on ne s’est pas séparés pour autant. Pendant un an et demi, j’ai des allers-retours Lille-Clermont Ferrand.


A Clermont, j’ai retrouvé Gérard « GGB » Bridier et une autre vieille connaissance, Gérard « GGA » Auriol, ancien moniteur d’auto-école, frère de Didier Auriol et photographe de rallyes. Par rapport à eux, avec ma douzaine de courses en tant que copilote, je faisais figure de gamin, mais ma formation de journaliste, alors qu’eux avaient appris sur le tas, était mon atout. Nous nous sommes partagé les tâches : à GGB, moteur du projet, la rédaction en chef, la couverture de l’actualité, le championnat de France Asphalte et le Mondial ; à GGA, les photos et le championnat Terre. A moi, le secrétariat de rédaction, le réseau de correspondants, le planning, la relecture et le rewriting.

La sortie du premier numéro était programmée pour le 15 janvier 1993, juste avant le rallye Monte-Carlo, où deux pilotes français (Didier Auriol chez Toyota et François Delecour chez Ford) allaient s’affronter.


Au début, les employés des éditions Freeway se sont posé des questions. Qui étaient ces trois types qui avaient pris possession des locaux, ne suivaient pas les mêmes horaires qu’eux, restaient tard le soir, voire la nuit et le week-end ? Nous vivions sur place. La salle de réunion de la rue Rameau se transformait parfois en dortoir. Nous avions un premier numéro à boucler, il n’y avait pas de temps à perdre. Heureusement Gérard Bridier n’était pas venu les mains vides. Il avait une série d’articles déjà prêts, d’autres en cours d’écriture, et avait entrainé dans l’aventure une petite équipe de rédacteurs freelance et de photographes tous aussi passionnés que lui. Jacques Furet pour la Coupe de France, Patrick Michel pour les dossiers techniques, les Belges Christian Léonard et David Limage pour le championnat d’Europe, l’agence DPPI pour ses archives photos… Matter, Yacco et Citroën Sport pour les premières pages de pub… Rallymag n’existait pas encore mais il avait déjà ses fans. La « Rallyrage » comme disait GGB était contagieuse. Le slogan « Rien que le rallye, mais tout le rallye » attirait la sympathie et les bonnes volontés.


Les anciens de Rallymag au circuit de Charade en février 2022 pour les obsèques de Gérard Auriol : (de gauche à droite) Fabrice "Junior" Bresson, Gilles "GG" Guillon, Jean-Philippe "Jean-Phi" Vennin, Gérard "GGB" Bridier, Hervé "Litteul" Jothy.

Je me posais la question de savoir comment j’allais pouvoir constituer un réseau de correspondants régionaux avant le début de saison, je n’ai pas eu à attendre longtemps. Un dénommé Tony Grosdemouge, que personne ne connaissait, avait entendu parler de nous au fin fond de son Jura natal et avait réussi à trouver notre numéro de téléphone. Si on avait besoin d’un correspondant en Franche-Comté, il était partant. Idem sur l’ile de La Réunion où le journaliste Rémi Kaufmann voulait en être lui aussi. Sans oublier les Cévennes, terres de Pierre-Henri Barat, vieux complice des deux Gérard prêt à assumer la correspondance de la ligue Languedoc-Roussillon. Au fil des semaines, surtout à partir de la sortie du n°1, la liste des pigistes s’est étoffée avec l’Alsacien René Goesel, l’Ardéchois Patrick Vezolles, le Corse Daniel Pietri, le Charentais Patrick Gergouil… Tous piaffaient d’impatience pour couvrir l’actualité de leur région. Il restait encore des zones blanches dans le territoire, mais j’étais prêt à faire le bouche-trou, quitte à aller sur le terrain le temps d’un week-end. C’est ce qui s’est passé pendant la première année. Il m’arrivait de partir couvrir des rallyes régionaux dans le Centre ou dans le Sud-Ouest. Cela me permettait de mesurer la popularité de journal, tout en essayant de trouver la perle rare qui pourrait suivre l’actualité de son coin. Malgré l’enthousiasme de ceux qui nous avaient rejoint dès les premiers numéros, il restait des zones où Rallymag n’avait pas de représentant. Il faut dire que la concurrence, sceptique au départ, a vite montré les crocs face à GGB et son équipe. Les responsables d’Echappement et de Compte-Tours ont interdit à leurs collaborateurs de travailler pour nous. Qu’importe ! Certains ont pris un pseudo pour nous aider malgré les consignes d’exclusivité qui leur étaient imposées. C’est ainsi que sont apparus au fil des pages des noms mystérieux : qui pouvaient bien être Véronique Soetart (Anthony Cauchy), Pierre-Marie Ridoux (Bruno Sailly), Eric Vacherand (Philippe Gavart-Perret), Frédéric Rodier (Frédéric Dart), l’Agence Epsilon (Patrick Gergouil et Gérard Coeffe), Jacky Minioux (Jacques Furet) ou Pierre Xavier (Stéphane Gaillard) ? Aucun pilote ne les connaissait mais ils avaient l’air bien informés. Parfois le pseudo était transparent. Stéphane Gaillard, journaliste à FR3 Auvergne et correspondant de longue date à Echappement, avait oublié que le pseudo Pierre Xavier qu’il utilisait pour Rallymag était celui avec lequel il signait ses articles dans Auto Hebdo. Dans certaines régions, le même correspondant travaillait simultanément pour les trois magazines sous trois noms différents, et avec trois textes à fournir à chaque fois !


Gérard "GGA" Auriol (décédé en janvier 2022) et Hervé "Litteul" Jothy.

Le premier numéro de Rallymag est paru à la mi-janvier 1993, après un bouclage au forceps en pleines fêtes de fin d’année passées comme il se doit en grande partie au bureau. Qu’importe, nous n’avions rien d’autre de prévu. Je m’étais trouvé une chambre d’étudiant à Royat, riante cité thermale à la sortie de Clermont. Gérard Bridier en bon Auvergnat avait une maison de famille dans le secteur. Et Gérard Auriol squattait à droite et à gauche, quand il ne dormait pas tout simplement dans sa voiture, une vieille 205 diesel où un matelas mousse avait remplacé la banquette arrière. Une auto surnommée « le plus petit camping-car du monde ». Dès qu’il le pouvait, c’est-à-dire une ou deux fois par semaine, GGA faisait l’aller-retour à Millau où il habitait. Moi je remontais à Lille tous les mois, dans le laps de temps entre le bouclage et la sortie en kiosques. En chemin, je faisais une halte aux Mureaux où se trouvait l’imprimerie pour jeter un coup d’œil aux pages qui sortaient des rotatives. C’est là que pour le numéro de juin, je découvris (trop tard évidemment) que nous avions fait une bourde monumentale. Le texte de l'essai de la Citroën ZX Trophée avait en partie disparu, ou plutôt il y avait deux fois le début et pas la fin ! Les semaines suivantes, nous avons fait profil bas, attendant les quolibets, mais personne n’a rien dit. A tel point qu’on s’est demandé si les lecteurs lisaient vraiment le journal. Des mois plus tard, certains nous ont dit qu’ils avaient repéré le bug, mais ils n’allaient pas critiquer le canard dont ils étaient fans.

20 000 lecteurs passionnés lisaient chaque mois le résultat de notre travail. En général, ils achetaient les trois revues disponibles (Echappement, Compte-Tours et Rallyes). Qui étaient-ils ? Pour GGA et GGB, issus de la vieille école, les lecteurs de Rallymag étaient des pilotes, copilotes, mécanos, organisateurs, commissaires... Pour moi, qui avait un regard extérieur, c'étaient les spectateurs qui nous lisaient, avec comme argument qu'au foot ce ne sont pas les joueurs qui lisent la presse, mais les supporters. Ce fut l'objet de longues discussions où j'avais rarement le dernier mot.


La première crise est apparue à peine six mois après la sortie du premier numéro. La France était paralysée par une grève des PTT, le courrier n'arrivait pas. Les comptes-rendus et les photos des correspondants nous parvenaient essentiellement par la Poste. Chaque matin, je guettais dans la boite à lettres d'hypothétiques enveloppes avec les textes à corriger. "Tatie" Danielle Gouyet, la secrétaire chargée de la saisie des textes (rappelons qu'il n'y avait pas encore internet), se tournait les pouces et me proposait cafés sur cafés. Béatrice Damary, la maquettiste, nettement moins conciliante, pestait contre ces journalistes incapables de respecter les délais.

Dans l'ombre, un autre drame était en train de se jouer. Pendant que je gardais la maison, GGA et GGB étaient censés se trouver en Grèce pour couvrir le rallye de l'Acropole. Gérard Auriol y était, mais pas Gérard Bridier. Epuisé par la surcharge de travail et la pression nerveuse liée au lancement du magazine, GGB avait craqué. Hospitalisé en urgence avec une consigne "du repos, encore du repos !". Personne n'était au courant. Je découvris le pot-aux-roses par hasard, quand quelqu'un me demanda des nouvelles de sa santé. Son épouse Mireille me rassura. Pendant que GGB était hospitalisé, GGA avait réussi à lui trouver un remplaçant au pied levé depuis Athènes. Le journaliste free-lance André Marzoli, qui suivait le championnat du monde des rallyes pour plusieurs journaux étrangers, accepta de prendre le relais sans discuter. Ouf, on était sauvés !

Restait le courrier, toujours aux abonnés absents. Un vendredi matin, un énorme sac postal arriva, rempli à ras bord de lettres en tous genres. Le contenu du prochain numéro était là ! Il n'y avait plus qu'à traiter tout ça en urgence, taper les textes, les classements, les petites annonces, le courrier des lecteurs... les relire, réécrire, compléter, et tout préparer pour que le lundi matin à la première heure Béatrice puisse (tout en ronchonnant, normal) monter les pages en retard. Ce fut un week-end chargé, passé devant mon minuscule Macintosh SE (putain, qu'est-ce que l'écran était petit) à engloutir et à digérer des dizaines de textes, les yeux rouges, sans dormir, ni penser à rien d'autre qu'au journal.


Quelques semaines plus tard, Gérard Bridier était de retour, frais comme un gardon après une cure de repos bien méritée et un savon de la part du patron des Editions Freeway qui avait peu apprécié qu'on lui cache la vérité.

Rallymag était toujours vivant, mais on l'avait échappé belle. Il fallait renforcer l'équipe pour éviter que cela ne se reproduise. Ca tombait bien, un étudiant clermontois cherchait un stage. Il fut accueilli à bras ouverts à la rédaction de Rallymag. Fabrice Bresson, aussitôt rebaptisé "Junior" (tout le monde avait droit à son surnom), faisait des études d'opticien. Je ne sais pas comment il a expliqué ça à la fac, mais dans le cadre de ses études, il s'est retrouvé photographe stagiaire dans un journal de sport auto. Puis est arrivé Hervé "Litteul" Jothy, autre étudiant auvergnat et aspirant copilote. Et Christophe "Pinpin" Painsart, l'inspecteur des ventes et homme à tout faire de la maison, que nous avons vite rebaptisé "Driver" car il passait ses journées au volant de sa camionnette à aller charger tout ce dont nous avions besoin. J'allais oublier Véronique Cavatz, la jeune commerciale chargée de démarcher les annonceurs, garagistes, équipementiers et autres spécialistes. Sa phrase préférée était : "Mais moi j'y connais rien aux bagnoles..." Réponse automatique de Gérard Bridier : "C'est normal, t'es une fille !"

En moins d'un an, l'équipe avait pris ses marques au sein des éditions Freeway, qui n'en finissaient plus de grandir, lançant de nouveaux magazines dans les domaines les plus divers (musique, auto, moto...).

Chaque fois que je revenais à Lille, je croisais mes anciens collègues qui me posaient la sempiternelle question : "Alors tu ne regrettes pas d'avoir quitté la télé ?" Ah non, vraiment pas.  Je me faisais plaisir. La rallyrage est contagieuse.


A suivre...

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