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Roubaix, ville de polars

Dernière mise à jour : 3 nov. 2020

Depuis plusieurs années, je m'intéresse à l'histoire du roman policier nordiste, je parcours les étals des bouquinistes à la recherche de romans se déroulant dans la région, je suis avec attention l'actualité des nombreux auteurs du Nord et j'accumule de la matière (livres, infos, biographies) en vue d'écrire une monographie sur ce sujet jamais traité précédemment.

 

Cette matière rassemblée au fil de mes découvertes, je la fais partager au cours de conférences que je donne dans les médiathèques du Nord-Pas de Calais. Début mars 2020, c'était au tour de la Médiathèque de Roubaix à l'occasion d'une soirée consacrée au polar régional. Stéphanie Parizot, responsable des animations, m'avait demandé de développer la partie roubaisienne de ma conférence et de répondre à cette question : Roubaix est-elle une ville de polars ? Evidemment, la réponse est oui !

Octave Vandekerkhove

L'entrée de Roubaix dans le monde du roman policier date du milieu des années 30 avec les premiers pas d'un écrivain aujourd'hui oublié.

Octave Vandekerkhove (1911-1987) était un auteur du cru, vivant dans le quartier du Pile où il exerçait la profession de fabricant de literie au n°19 de la rue de Mons. Contemporain de Maxence Van der Meersch, dont il jalousait le succès et la notoriété, son activité professionnelle devait lui laisser beaucoup de temps libre car il passa une partie de sa vie à écrire et à voyager. Véritable globe-trotter, il fit quatre tours du monde à raison de deux ou trois voyages par an dans les années 50 et 60. Il se trouvait ainsi à Cuba au moment de la prise de pouvoir de Fidel Castro. De ses voyages, Vandekerkhove rapporta de nombreux souvenirs. Sa maison était transformée en musée et il donnait des conférences Connaissance du monde pour partager ses expériences avec les enfants des écoles. Son activité d'écrivain s'est concentrée sur une quinzaine d'années, de 1935 à 1950 avec un pic d'activité sous l'Occupation. Il a été extrêmement prolifique, puisqu'il aurait écrit une cinquantaine de romans, 600 chansons (dont une pour Maurice Chevalier) et 15 pièces de théâtre. Malgré cette production riche et variée, il a complètement disparu des tablettes. Ses livres sont quasiment introuvables. Seules les médiathèques de Roubaix et de Lille en conservent des exemplaires dans leurs archives. Sa Comédie sans nom, tirée à 60 000 exemplaires, fut pourtant finaliste du Prix du Roman Populiste en 1944 et connut un petit succès durant les derniers mois de l’Occupation.

Ses principaux romans noirs sont Ma petite lilloise (Figuière, 1935), Bourreaux en haut de forme (Office français du livre, 1945), Les fauves en liberté (Janicot, 1945), La clique à Balthazar (Janicot, 1945), L'homme à tout faire (Janicot, 1946), Le géant du rivage (Janicot, 1947)... On y découvre un univers très sombre, avec des personnages abjects et médiocres, à la limite de la caricature. Aucun d’entre eux ne se passe à Roubaix. Vandekerkhove, qui revendiquait l’influence de Simenon et de Céline, estimait que Van der Meersch parlait suffisamment de la ville et que ce n’était pas la peine d’en rajouter.

"J'ai écrit une douzaine de grands romans et une quarantaine de petits. Il s'agissait de romans policiers qui se déroulaient dans le Nord et qui étaient vendus 50 centimes. Ils étaient publiés par Janicot, un homme extraordinaire, ancien directeur de l'Opéra d'Alger. Il me faisait totalement confiance et publiait ce que je lui donnais sans relire. Ces petits romans m'ont fait gagner bien plus d'argent que les grands..."[1]


A l'époque d'Octave Vandekerkhove, Roubaix a compté trois éditeurs de romans policiers, trois petites maisons d'édition à l'existence fugace et sur lesquelles on possède peu d'informations : Le Fétiche (1952), Le Condor (1952-54, 22 titres) et Ciel du Nord (1954-55, 2 titres). Il pourrait s'agir d'un seul et même éditeur, le Franco-belge Roger Dermée, spécialiste des romans policiers sexys, des polars érotiques, qui jouait à cache-cache avec la censure pour disparaître et renaître aussitôt sous un autre nom. Ainsi sur les 22 titres publiés par Le Condor au début des années 50, les vingt premiers ont été censurés. Ces éditions éphémères et semi-clandestines ont publié des auteurs comme André Héléna et Terry Stewart qu'on retrouvera plus tard dans des collections ayant pignon sur rue comme la Série Noire. Pourquoi Roubaix ? Le mystère reste entier, d’autant que Dermée avait à la même période une riche activité d’édition à Paris, où Armand Di Caro fut un temps son collaborateur avant de voler de ses propres ailes en créant Fleuve Noir.

 
 

Il faut attendre les années 90 pour que Roubaix renoue avec sa tradition polardeuse. Coup sur coup deux enseignants en poste dans la ville vont se faire connaître à travers leurs romans. Le premier Michel Quint, professeur de lettres et de théâtre au lycée Baudelaire, fait ses armes au Fleuve Noir à partir de 1984, puis chez Rivages et chez Calmann-Levy où il décroche le Grand Prix de la littérature policière en 1989 avec Billard à l'étage. Il est suivi quelques années plus tard par un prof de français en ZEP, Jérôme Leroy, dont le goût pour le polar social va faire un spécialiste du genre. Bien qu’il y ait travaillé durant deux décennies, Jérôme Leroy (comme Michel Quint) ne situe jamais ses romans dans la ville. Monnaie bleue (Editions du Rocher, 1997) se déroule dans une cité fictive, en proie à une nuit d’émeutes. De l’aveu de Jérôme Leroy, ce roman est celui qui s’inspire le plus du Roubaix qu’il a connu.

Lakhdar Belaïd

Journaliste, Lakhdar Belaïd, fils d’un ouvrier de la Redoute ancien leader du MNA dans le Nord, a suivi sa propre voie. Paru à la Série Noire en 2000, son Serail Killers abordait un univers jamais exploré dans le polar, celui de la population roubaisienne d’origine maghrébine, entre petite délinquance et montée de l’islamisme. Les deux personnages principaux de ce roman et des suivants étaient Bensalem, policier surnommé Rebeucop, et Khodja le journaliste, son meilleur ennemi.

Quelques années plus tard, Roubaix devint un fréquent décor d’intrigues policières avec ce que j’appelle la génération Franck Thilliez ou génération Polars en Nord. La collection de romans policiers régionaux des éditions Ravet-Anceau a permis à partir de 2005 à une nouvelle génération d'auteurs nordistes de s'exprimer dans la foulée du succès rencontré par l'auteur de La Chambre des morts. Parmi eux, on croise une demi-douzaine de Roubaisiens ou d’auteurs ayant choisi Roubaix comme cadre.

Luc Watteau

Ainsi l’ancien policier Luc Watteau, qui a fait l’essentiel de sa carrière professionnelle au commissariat central à partir des années 70. Révélé en 2012, lauréat du prix Sang pour 100 qui récompensait un manuscrit inédit en lui attribuant le n°100 de la collection Polars en Nord, il est l’auteur d’une série d’enquêtes policières mettant en scène son alter ego, le flic de terrain Franck Malmaison. Avec ses collègues hauts en couleurs du commissariat de Roubaix, Malmaison est confronté à la petite délinquance quotidienne, expression de la misère sociale et de la bêtise, vols crapuleux, combines foireuses et meurtres sordides. L’atmosphère des années 70 et 80 est parfaitement décrite avec moult anecdotes croustillantes et détails plus vrais que nature. En réalité, Luc Watteau romance avec talent la matière qu’il a accumulée au fil des années dans son travail de policier. Ceux qui ont connu le Roubaix de cette époque n’ont aucun mal à identifier les personnages qui l’ont inspiré.

Dans un autre genre, Bernard Thilie, titi roubaisien né rue du vieil Abreuvoir en 1943, décrit lui aussi le Roubaix de son enfance et ses habitants pittoresques tout droit sortis du cinéma populaire des années 50. Des tronches, drôles et bien campées, qui accumulent les péripéties consternantes dignes des Pieds-Nickelés. Toujours persuadés d’avoir découvert la combine du siècle, ses Bricoleux échouent constamment mais réussissent à échapper à la justice malgré leur amateurisme.

L’univers d’Anne Clerson est tout autre. C’est celui des beaux quartiers, des belles maisons bordant le parc Barbieux, un Roubaix bourgeois et bobo que l’on retrouve dans La Maison du Parc Barbieux (Polars en Nord, 2009), où une jeune célibataire désœuvrée est persuadée que sa vieille voisine a été assassinée. Même s’il habite à Wattrelos, Philippe Waret est le plus roubaisien des auteurs actuels. Passionné d’histoire locale, il a longuement étudié la ville et de ses quartiers, en a tiré de multiples ouvrages consacrés à divers aspects du passé, avant de se tourner vers la fiction. Après La Grande Séparation (Pôle Nord Editions, 2014), un premier polar historique consacré à l’occupation allemande en 14-18, il s’est lancé dans l’écriture fleuve des Mystères de Roubaix, une série en douze volumes, un par quartier, pour raconter le Roubaix de la fin du XIXe siècle à travers les aventures d’un apprenti journaliste en pleine révolution industrielle. Fin 2019, il en était au cinquième tome et avait déjà parcouru les quartiers du Fontenoy, des Longues Haies, du Tilleul, Barbieux et le Trichon.

Terminons ce panorama par un coup d’œil aux maisons d’éditions régionales qui sont passées par Roubaix ces dernières années.

Il y eut d’abord les Editions du Riffle, créées par Richard Albisser en 2007. D’abord consacrées à la littérature et la poésie, devant la popularité croissante du polar régional, elles finirent par lancer la collection Riffle Noir. Avant de disparaitre en 2017, le Riffle avait ses bureaux à La Condition publique. Roubaisiennes également, bien que nées au Havre, les Editions Krakoen que j’avais tenté de relancer en 2013. L’aventure n’a pas duré longtemps, deux ans et une dizaine de livres, avant de faire faillite. Krakoen était installé dans la tour Kennedy rue du Coq Français, puis rue Rollin dans le quartier du Cul-de-Four dans une annexe de l’imprimerie Sobook. A la même adresse se trouvait Pôle Nord Editions, que j’avais créées en parallèle avant de déménager à Lille.

Aujourd’hui à ma connaissance, il n’y a plus de maison d’édition spécialisée installée à Roubaix, même si le dernier roman de Fred Vargas a été mis en page par Pixellence, une société de pré-presse située à quelques pas de l'Hôtel de ville.

Sélection de polars se déroulant à Roubaix

  • Richard Albisser : Eclipse d’une nuit d’hiver (2008), Fou contre tour (2009), C21H22… (2012), Hyster-Y (2015)

  • Lakhdar Belaïd : Serail Killers (2000), Takfir sentinelle (2002), World Trade cimeterre (2006), Les fantômes de Roubaix (2011)

  • Anne Clerson : La Maison du parc Barbieux (2009)

  • Lucienne Cluytens : Miss Lily-Ann (2014)

  • Lou Desmalines : On l’appelait la Dorure (2017)

  • Jérôme Leroy : Monnaie bleue (1997)

  • Philippe Mary : L’Enigme du canal (2019)

  • Frédéric Paulin : Prémices de la chute (2019)

  • Michel Quint : Apaise le temps (2016)

  • Roseback & Ricardo Montserrat : Ne crie pas (2000)

  • Bernard Thilie : Nuit de chine (2010), L’attaque du casino de Malo (2011), Le mystère du fort de Bondues (2013), Les despérados de Roubaix (2014)

  • Luc Watteau : Roubaix 70’s (2012), Roubaix police blues (2013), Les démons de Mina (2014)

  • Philippe Waret : La Grande Séparation (2014), série des Mystères de Roubaix (5 romans depuis 2017)

  • Will (Pierre Willi) : Les fleurs de Jean Jaurès (1996)

[1] Entretien avec Bernard Grelle, directeur de la bibliothèque municipale, au début des années 1970.





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