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L’histoire mouvementée de la Bible des estaminets

Dernière mise à jour : 3 nov. 2020

Depuis mes débuts d’éditeur, la Bible des Estaminets a toujours été mon best-seller. La nouvelle édition parue en septembre est la sixième de ce guide qui existe depuis près de vingt ans. Deux décennies marquées par une existence cahotique avec des changements de titre, d’éditeur, de coauteurs, et plusieurs procès de la part d'imitateurs vindicatifs.



Le tout premier Guide des Estaminets (son nom à l’époque) est né au printemps 2002. Il était édité par PdN Editions, la filiale livres du magazine Pays du Nord que j’avais créé huit ans plus tôt pour le groupe de presse auvergnat Freeway. A la recherche d’un second souffle après des années à caracoler dans les meilleures ventes, Pays du Nord venait d’être revendu à la régie lilloise chargée de commercialiser ses espaces publicitaires. Les estaminets faisaient alors partie des thèmes récurrents évoqués dans les pages du magazine. Régulièrement nous publiions un dossier ou un numéro hors-série sur le sujet. C’était le succès assuré. Au bout de quelques années, l’idée de recenser les estaminets du Nord et de Belgique dans un véritable guide vendu en librairies a fait son chemin.

En 2002, nous avons décidé de réaliser cet ouvrage inédit, un outil qui serait autant utile à la rédaction du magazine qu’à ses lecteurs. Le futur Guide des estaminets devait recenser 300 bonnes adresses régionales, avec la volonté d’être exhaustif. Pour cette première édition, nous partions de la matière accumulée depuis 1995 dans les colonnes de Pays du Nord. Les estaminets que nous connaissions étaient ceux auxquels nous avions déjà consacré des reportages. Il y avait un gros travail de recensement à faire pour répertorier tous les autres. Pendant que je centralisais, coordonnais, relisais et complétais les fiches, l'enquête sur le terrain était effectuée par une stagiaire étudiante et deux amies, des mères de famille lilloises. Pendant des semaines, elles ont sillonné le Nord-Pas de Calais et les Flandres belges pour visiter tout ce qui s’approchait de près ou de loin d’un estaminet et me rapporter des fiches de renseignements. A moi ensuite de compléter et uniformiser cette matière brute. Ce fut un travail de longue haleine, mais qui valait le coup d’être effectué. Quelques mois plus tard, quand parut le Guide des Estaminets, le succès fut au rendez-vous. Le livre se vendit comme des petits pains, preuve qu'il répondait à une demande. Moi qui étais alors quasiment néophyte dans l’édition de livres, je ne me rendais pas compte que nous étions tombés sur un filon. Hachette qui était chargé de la distribution en librairies nous réclama plusieurs retirages successifs. Il y avait un vrai besoin de la part des lecteurs nordistes avides de découvrir ces endroits dans l’air du temps. Le guide dépassa les dix mille exemplaires en l’espace de deux ans de vente (il atteindra au final 14 000 ex). On se l’arrachait, c’était le best-seller régional !

Pourtant cette édition inaugurale était loin d’être parfaite. Avec le recul, quand je le feuillette aujourd’hui, je me rends compte que dans notre volonté d’être exhaustifs, nous n’avions pas été très regardants. Certaines adresses étaient sans grand intérêt et ne méritaient vraiment pas d’être mises en avant.


Deux ans après la sortie de cette première mouture imparfaite, je proposai au gérant de Pays du Nord de mettre en route une seconde édition actualisée et totalement remaniée. A ma grande surprise, il refusa. Soi-disant que ça ne l’intéressait pas (qu’est-ce que je pouvais être naïf !). Me voilà avec un best-seller dont l’éditeur ne voulait plus entendre parler ! Passé une légitime période de déception, je décidai de quitter Pays du Nord et de chercher une autre maison d’édition avec mon guide sous le bras.

En 2005, Ravet-Anceau, le plus vieil éditeur nordiste (né en 1853), me recruta comme responsable éditorial pour faire des livres sur le Nord et accepta mon projet. Cette fois, c’est moi qui partis sur le terrain à la recherche des meilleurs estaminets du Nord-Pas de Calais. Mon confrère journaliste Sébastien Gavini, qui vivait en Belgique, ferait le tour des établissements situés de l’autre côté de la frontière. Randonneur habitué des monts de Flandre, son domaine et sa passion, c’était un vrai connaisseur.

Sébastien et moi repartions d’une feuille blanche. Le nouveau guide n’aurait plus rien à voir avec le précédent. Nous avons éliminé plus d’un tiers des établissements présentés, en avons déniché d’autres, des bonnes adresses moins connues mais correspondant mieux à l’idée que nous nous faisions d’un véritable estaminet. Le résultat de notre travail parut à l’automne 2005, en même temps que les premiers romans policiers de la collection Polars en Nord, autre vieux projet que je venais de concrétiser chez Ravet-Anceau.


Pays du Nord voyant la poule aux œufs d’or lui échapper lança en catastrophe une version concurrente et m’accusa de plagiat. Un comble quand on sait que le contenu du Guide Ravet-Anceau n’a rien à voir avec le précédent (dont j'étais également l'auteur ;-) ! Son édition parut au printemps 2006. C’était la copie conforme du tout premier guide avec en plus des photos couleurs et une info pratique qui laissa perplexes bon nombre d'utilisateurs : le guide mentionnait la longitude et la latitude des estaminets présentés, soi-disant pour les lecteurs qui utilisent un GPS. Aujourd’hui tout le monde sait qu’en entrant une simple adresse postale, n’importe quel GPS vous emmène à bon port. Visiblement à l’époque certains l’ignoraient…


L’arrivée de ce guide concurrent en librairies fut suivie d’un procès. Ravet-Anceau et moi étions accusés d’avoir dénigré le travail de Pays du Nord en expliquant que notre guide n’avait rien à voir avec le leur. Notre adversaire fut débouté avant même le procès, pour vice de forme (il s’était trompé sur mon identité, un comble quand on sait que nous étions associés !), ce qui ne l’empêchera pas de revenir à la charge quelques mois plus tard et d’entamer une nouvelle procédure sur le même thème.


 
 

En 2008, Sébastin Gavini parti travailler au Maroc, je fis appel au Lillois Laurent Cousin pour me seconder sur la seconde édition du Guide Ravet-Anceau des estaminets. Laurent, grand amateur et connaisseur de bières, se lança sur les traces de Sébastien. Pas de grands changements dans le contenu, la formule était désormais rodée. J’ai juste ajouté une rubrique bien utile : les circuits de randonnées qui passent tout près de chaque établissement. Les randonneurs sont parmi les premiers utilisateurs du guide et aiment bien avoir un point de chute où se restaurer et se rafraîchir après leur balade. Pays du Nord qui avait renoncé à sortir la version papier de son guide lança un site internet www.leguidedesestaminets.fr qui en reprenait le contenu. Ce site financé par la pub fut un échec. Non seulement, le contenu était obsolète, mais les patrons d’estaminets refusaient de mettre la main à la poche pour financer un service dont la fonction principale était de me mettre des bâtons dans les roues. Au tribunal, Pays du Nord fut à nouveau débouté de ses poursuites à mon encontre, mais il insista encore et lança une troisième procédure.

Fatigué de toutes ces polémiques, et vu que les ventes du guide avaient baissé (deux fois moins de lecteurs qu’en 2002), je décidai de laisser tomber. J’ai quitté Ravet-Anceau et suis parti faire le tour du monde. A mon retour, mon avocat m’informa que Pays du Nord avait enfin été condamné pour procédures abusives à mon encontre. Je ne toucherai jamais les dommages et intérêts qui m’étaient dus, mais cela me donna envie de relancer le guide. D’autant que les lecteurs, dont certains m’avaient surnommé la Bible des estaminets, me réclamaient avec insistance une version actualisée. Il faut dire que le petit monde des estaminets connait des changements continuels. Ouvertures, fermetures, changements de propriétaires… se succèdent à un rythme soutenu depuis vingt ans. L’édition précédente parue cinq années plus tôt n’était plus du tout à jour.


Avec Sébastien Gavini, de retour à Bruxelles, nous décidons de nous remettre au travail. Pôle Nord Editions, la maison d’édition que je venais de créer, prit le relais de Ravet-Anceau[1] qui n’était plus intéressé. Pour éviter toute confusion avec le site internet qui s’était accaparé son nom, le guide des estaminets devint la Bible des estaminets. C’était un nouveau départ, avec de petits moyens, quelques partenaires fidèles comme France Bleu Nord et le Comité départemental de tourisme, et toujours le même enthousiasme. Nous avons définitivement laissé tomber le caractère exhaustif. Désormais nous sélectionnons 200 adresses sur des critères subjectifs, uniquement les endroits où nous avons envie d’envoyer nos amis. Le partenariat avec France Bleu Nord prit une nouvelle dimension. Chaque jour, pendant l’été, dans son émission culinaire La Marmite, Pépée Le Mat présentait un estaminet que nous avions sélectionné.

Rebelote en 2016 pour la seconde édition de La Bible des estaminets chez Pôle Nord Editions. Même si le guide actuel n’a pas retrouvé le niveau de vente de ses débuts, il bénéficie toujours d’environ 5000 lecteurs fidèles qui n’hésitent pas à mettre la main à la pâte, nous signalant de nouvelles adresses, nous donnant leur avis sur celles qu’ils ont testées et rectifiant nos erreurs et oublis. Mieux, d’anciens lecteurs sont passés de l'autre côté du comptoir et ont ouvert leur propre établissement

En 2018, l’aventure de la Bible des estaminets a pourtant failli s’arrêter. Pôle Nord Editions a cessé ses activités et je suis reparti en solo explorer d’autres horizons. Libraire, community manager, rédacteur web, animateur… de multiples casquettes tout en gardant un pied dans l’édition en tant qu’indépendant et en continuant à dénicher les bonnes adresses qui surgissent ici ou là...


Initialement prévue en 2019, la sortie de la sixième édition de la Bible des estaminets a d’abord été reportée au printemps 2020, puis le confinement a retardé la mise à jour des fiches. Très attendu après une série d'émissions sur France 5, le guide est finalement sorti en septembre 2020.

Sébastien Gavini qui est retourné s’installer en Afrique[2] n’est plus là pour visiter les estaminets belges. Cette fois-ci, j’ai donc tout fait moi-même, auteur et éditeur. Beaucoup m’envient, mais il n’y a personne pour faire mon travail à ma place. Manquerait plus qu’on m’accuse d’avoir copié ;-)

Au fil des années, l’expérience accumulée m’a donné l’aura d’un spécialiste du sujet. Je n’ai pas la prétention de tout connaître, mais à force de les visiter, les tester et goûter leurs spécialités, j’arrive à avoir une vision d’ensemble sur les estaminets nordistes, picards et belges. Et ça m’intéresse toujours autant… (GG)

 

[1] Ironie du sort et mystères de la justice : Ravet-Anceau, qui avait pris les poursuites de Pays du Nord à la légère, a été condamné pour concurrence déloyale, alors que la justice m’a donné raison dans la même affaire. [2] Sébastien Gavini organise des randonnées et récolte du miel en Côte d’Ivoire.

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