Une jeune consœur qui débute dans le métier, s’étonnant de ne pas connaître ma maison d’édition, me demanda si j’avais démarré récemment. Mes premiers pas en tant qu’éditeur remontent à l’année 2000. Cela fait plus de vingt ans, près de 300 livres publiés et cinq maisons d’édition successives ! Le temps passe, reste la volonté…
1. PdN Editions (2000-2004) : essai transformé
En 2021, j’attaque ma troisième décennie d’éditeur, un métier que j’ai choisi au tournant du siècle dernier après vingt ans de journalisme. Passer de la presse à l’édition s’est fait naturellement. Au sein du magazine Pays du Nord, que j’avais créé en 1994, j’ai proposé à mes associés de lancer une filiale édition pour publier des livres et prolonger ainsi le travail de la revue. Malgré leur enthousiasme modéré, j’ai démarré ma carrière d’éditeur en 2000 avec une collection de petits guides de randonnée sur le Nord et la Picardie. Pays du Nord Editions publia 5 titres de la série Balades (Balades en villes, au bord de l’eau, sur les sommets, en forêt…) et une dizaine d'autres ouvrages avec des résultats encourageants, mais ce fut surtout la parution du Guide des Estaminets qui lui permit de connaître le succès. 14 000 exemplaires de cet ouvrage inédit, recensant les tavernes typiques des Flandres, furent vendus en l’espace de quelques mois. Un véritable best-seller régional et un coup de maître ! Hachette qui s’occupait de la distribution m’encouragea à continuer, mais mes associés étaient toujours aussi peu chauds vis-à-vis de mes projets de livres. Mon idée de publier des romans policiers régionaux ne leur semblait pas intéressante et mon souhait de faire une version actualisée du Guide des Estaminets se heurta à leur refus. Exaspéré par leur manque d’ambition, je claquai la porte et décidai en 2004 de créer ma propre maison d’édition.
2. Ravet-Anceau (2005-2011) : un succès voué à l’échec
Ça devait s’appeler les éditions Polars en Nord, maison spécialisée dans le polar nordiste, un genre qui n’existait pas encore et auquel j’étais le seul à croire. Ça s’annonçait compliqué, car à quarante-trois ans, je n’avais pas un sou en poche. Ravet-Anceau, le plus vieil éditeur nordiste, entendit parler de mes projets et me récupéra au passage. J’étais toujours éditeur, mais pas encore patron. Polars en Nord devint une collection au sein des éditions Ravet-Anceau, maison centenaire à la recherche d’un second souffle après des années à publier des cartes et des plans de villes. En tant que directeur éditorial salarié je pus développer mes idées pendant sept ans à travers plus de 150 livres, le succès des Polars en Nord (4000 ex/mois) montrait que j’avais eu raison, mais l’absence de vision à long terme de cette vieille institution m’incita à tourner la page pour aller faire autre chose. A l’âge de 50 ans, je suis parti. Les éditions Ouest-France m’avaient démarché pour diriger leur bureau de Lille, je ne donnai pas suite. Peut-être aurais-je dû…
3. Krakoen (2013-2014) : l’erreur
Après une parenthèse autour du monde (quatre mois à me balader avec sac à dos et baskets sous les tropiques), je revins à Lille avec l’intention de monnayer mes compétences auprès d’une maison d’édition ambitieuse. Le sort en décida à nouveau autrement. Des amis bien intentionnés me proposèrent de créer quelque chose avec eux. Ils disaient avoir l’argent et semblaient enthousiastes. Nous jetâmes notre dévolu sur Krakoen, petite coopérative de polars dont le créateur Max Obione cherchait un successeur avant de prendre sa retraite. Il était prêt à céder la marque et le catalogue pour un euro symbolique. Le roman policier était ma spécialité, j’allais pouvoir m’éclater. Sauf que Krakoen était déjà mort, les auteurs les plus en vue (Paul Colize, Marie Vindy, Elisa Vix, Hervé Sard) étaient partis, et les libraires ne voulaient pas entendre parler de ce qu’ils considéraient comme une expérience d’édition associative à compte d’auteurs. Pendant un an et demi et une douzaine de parutions, je m’épuisai à faire du bouche-à-bouche à un cadavre avant que le tribunal de commerce mette fin à l’aventure. Mes ex-amis, qui s’étaient avérés plus conseilleurs que payeurs, me laissèrent me débrouiller avec des dettes à rembourser. Une bonne leçon !
4. Pôle Nord Editions (2013-2018) : le pied de nez
L’épisode Krakoen terminé, place à la petite structure que j’avais créée en marge pour continuer à publier le Guide des Estaminets, rebaptisé Bible pour échapper aux petits malins qui s’étaient accaparé le nom initial. Avec l’aide des auteurs de Polars en Nord qui m’avaient suivi chez Krakoen, je décidai de lancer plusieurs collections thématiques de polars historiques. L’ambition était modeste, les fonds inexistants, mon travail bénévole… malgré tout, pendant cinq années Pôle Nord a réussi à s’autofinancer, les collections historiques avaient trouvé leur public et un coup d’éclat, la publication du pamphlet Pires que les élèves de Stéphane Furina, avait assuré la notoriété de cette structure dont le slogan « Le petit éditeur qui n’a pas peur des grands » était un pied de nez aux difficultés rencontrées. Mais au bout de cinq années de bénévolat, j’ai dû me résoudre à chercher un travail rémunéré et à laisser les clefs à mon associé majoritaire. Pôle Nord n’a pas survécu à mon départ. Dommage, il y avait du potentiel. Manquait juste l’essentiel : l’argent !
5. Gilles Guillon Editeur (2018-…) : toujours là
C’est en se trompant qu’on apprend, dit-on. Tirant les leçons des expériences précédentes, et avec l’appui fidèle des auteurs de Pôle Nord (à la différence de Krakoen, pas un seul ne m’a lâché), j’ai repris les collections et le catalogue existants et j’ai ouvert un nouveau chapitre de ma carrière d’éditeur, tout en retrouvant mon ancien métier de journaliste. Aujourd’hui je continue de publier des livres et de travailler sans argent, mais je ne compte plus sur l’édition pour gagner ma vie. Et je travaille en solo !
Message aux conseilleurs : dès que j’ai besoin de rien, je vous appelle !
Les livres qui illustrent cet article sont quelques-uns des titres que j'ai édités au cours de ces vingt années.
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